Cellule d’observation de la criminalité
I. Nombre de kidnappings
- Au moins 91 kidnappings[1] ont été recensés pour le mois d’avril, contre 27 pour le mois de mars, une augmentation de plus de 300 %. Quarante-neuf (49) ont été recensés durant les 15 jours de la gouvernance « intérimaire » de Monsieur Claude Joseph, représentant 54%. Le deuxième trimestre en annonce une forte augmentation, car 65 ont été recensés pour le mois de janvier, dont cinq (5) ressortissants étrangers.


- Pour ce mois d’avril, de nombreux rapts n’ont pas été déclarés, notamment à Carrefour, à la Croix-des-Bouquets et à Port-au-Prince. En outre, suite à l’échec de l’opération policière du 20 avril à Martissant pour placer des séparateurs et conteneurs de façon à isoler les bandits, ces derniers ont investi la route nationale # 2 et ont pris le contrôle de la circulation. Beaucoup de passagers, pour la plupart dans leur voiture (plus d’une dizaine), ont été enlevés. Certains ont été libérés le même jour. Les rapts pourraient donc avoisiner plus d’une centaine.
II. Kidnappings par zone géographique, nationalité et catégorie sociale
- Zone géographique. Les kidnappings sont recensés : à Port-au-Prince ( en moyenne 43 %) ; à la Croix-des-Bouquets ( en moyenne 22 %) ; à Carrefour ( en moyenne 19 %) ; à Delmas (en moyenne 16 %).Notons que cela ne veut pas dire qu’il n’y pas eu de kidnappings dans les autres départements.
- Nationalité. Deux ressortissants étrangers.
- Catégories sociales. Toutes les catégories sociales sont quasiment touchées par ce fléaux: avocats, médecins, étudiants, commerçants (petits, moyens, grands), policiers…
III. Sur la localisation des gangs
- Certains gangs sont plus impliqués dans le kidnapping : Gran Ravin ; Village-de-Dieu ; 400 Marozo ; Savien. Ils sont cependant interconnectés. Certains gangs kidnappent, soit pour un autre ou sur ses informations. La demande peut venir d’une personne d’un secteur de la vie sociale impliquée directement ou indirectement dans la grande criminalité ( trafic d’armes et d’êtres humains, lutte pour des monopoles, transferts de monopoles, lutte politique, élections…). Les motifs du kidnapping sont divers (criminel, concurrentiel, économique, politique… ).
- Des gangs alliés (peu connus) font des rapts et, suivant les détenus, les négocient et les transfèrent à d’autres plus structurés.
IV. Considérations générales
- Nomination « ad interim » du premier ministre de facto Claude Joseph. Nommé le 2 mars 2020, en remplacement de Jean-Michel Lapin, le premier ministre de facto Joseph Jouthe a démissionné dans la nuit du 13 au 14 avril 2021. Quelques heures après, Monsieur Jovenel Moïse, président de facto, a affirmé que cette démission « permettra d’adresser le problème criant de l’insécurité (…) » et a nommé « ad interim »M. Claude Joseph, ministre des Affaires étrangères et des Cultes, premier ministre.
- Monsieur Claude Joseph s’est tout de suite lancé dans une grande entreprise de propagande : tournée dans des commissariats et locaux des unités spécialisées, communiqués, tweets… Pourtant sous son administration, soit du 14 au 30 avril, 49 kidnappings, représentant 54%, ont été recensés.
- État d’urgence du 16 mars 2021. Un décret révisant la loi du 15 avril 2010 sur l’état d’urgence a été publié dans le journal officiel le Moniteur le 15 mars 2021. En outre, un arrêté pris le 16 mars a instauré l’état d’urgence à : Village-de-Dieu ; Grand-Ravine ; Delmas 2 ; Savien ( Petite-Rivière de l’Artibonite) pour un mois. Ledit arrêté concerne aussi toutes les zones identifiées par le Conseil supérieur de la police nationale.
- Du 1er au 16 avril (fin de l’état d’urgence), le CARDH a recensé au moins 47 rapts, représentant plus de ceux pour le mois de mars.
- Rançons exigées. Les rançons exigées se trouvent entre 100.000 et 1.000.000 de dollars américains. Seulement cinq personnes auraient été libérées sans rançon, dont quatre (4) suite à l’intervention d’un autre chef de gang.
V. Conclusion
- Accentuation de la pauvreté. Les familles des personnes kidnappées sont obligées de vendre leurs biens, de faire des prêts inconditionnels pour payer la rançon. Parfois elles sont contraintes d’en verser une deuxième, et celle qui l’apporte est kidnappée[2]. Vivant déjà dans la grande vulnérabilité, la classe moyenne, frappée de plein fouet par le phénomène, bascule dans la pauvreté.
- Nouvelle industrie économico-criminelle florissante et facile. Voici donc une nouvelle industrie économico-criminelle florissante et très facile qui s’ouvre en Haïti, dont les pauvres de la classe moyenne en font les frais sous le regard complice de Monsieur Jovenel Moise et de toute son administration inconstitutionnelle et illégitime. Dans le Nord, plus précisément à Milot (Mòn Gran Gil/Pon Blan) les gangs se seraient déjà fédérés sous le nom de 5G.
- Quels sont les vrais auteurs de l’industrie du kidnapping ? En plus des groupes armés visiblement responsables, d’autres catégories sociales y sont impliquées. Où vont les millions de dollars américains du kidnapping ? Comment les intégrer dans l’économie ? Quel sera le rôle des prochaines élections dans leur blanchiment[3] ?
- Kidnapping de Coralie et Nicolas Moscoso. Le 16 octobre 2012, Coralie et Nicolas Moscoso (âgés de 23 et 24 ans), de nationalité étrangère, ont été enlevés sur la route de Bourdon par un groupe dirigé par l’homme d’affaires Cliford Brandt. 2.5 millions de dollars avaient été exigés. Arrêté le 22 octobre suivant, avec ses complices Edner Comé et Ricot Pierre-Val M, Monsieur Brandt a été condamné le 11 décembre 2019 à 20 ans de travaux forcés par le Tribunal criminel des Gonaïves, présidé par le juge Dénis Pierre Michel. Notons que Carlo Bendel Saint-Fort a, pour sa part, écopé d’une peine de 17 ans dans cette affaire.
- Gang Gallil (dirigé par Woodly Ethéart, alias Sonson La Familia). L’ordonnance du 5 mars 2015 a envoyé par-devant le tribunal criminel pour « enlèvement suivi de séquestration contre rançon, assassinat, trafic illicite de stupéfiants, vol de véhicules, détention illégale d’armes à feu, faux et usage de faux, usurpation de titre, blanchiment des avoirs, complicité de blanchiment des avoirs et association de malfaiteurs » : Alain Cérélus, dit commandant, Jeff Dupiton, alias Peter Bryant, Woodly Ethéart, Renel Nelfort, Kerwins Jacques Mathurin, Brunet Augustin, Cézard Laforest, Bergeaud Jean, Marie Hermithe Saint-Juste, Marie Thaïssa Mazile Ethéart, Eddy Félix, Carl Henry Félix, Gérald François, Walder Saint-Juste, Bellance Benoit et Jolerme ainsi connu.
- Au moins dix-sept (17) personnes enlevées, rapportant au moins 1. 889. 500 de dollars américains, deux assassinats et des disparus sont à l’actif du gang Gallil. Dans une audience sans assistance de jury controversée le 17 avril 2015, le juge Lamarre Bélizaire les a libérés.
- A propos des ports publics et privés. A longueur de journée, des cargaisons d’armes et de munitions sont découvertes dans des ports publics ( Saint-Marc, Port-de-Paix, Cap Haïtien, Port-au-Prince…) et privés ( Laffito…). Des armes destinées à la police sont détournées. Selon la Commission nationale de désarmement, démantèlement et réinsertion (CNDDR), 11 familles sont impliquées dans le trafic illicite d’armes et de munitions. Des personnes très influentes de l’administration Jovenel Moïse soutiennent des gangs en argent, armes, minutions et informations.
- Nouvelles stratégies par rapport à l’extension des gangs (plus de 150). Aujourd’hui, avec plus de 150 groupes armés sur tout le territoire national, mieux structurés (G9 an fanmi e alyé [famille et alliés]/5G) et positionnés, de nouvelles stratégies sont mises en place. Des gangs sont utilisés pour garder les kidnappés. Odma, l’ancien chef de Savien, l’a souligné en maintes fois. Quand ils deviennent embarrassants, on les exécute. A titre d’exemple, évadé de la prison de la Croix-des-Bouquets, suite à une mutinerie planifiée, Arnel Joseph[4], ancien chef de gang de Village-de-Dieu, a été exécuté à Montrouis, alors qu’il s’apprêtait à regagner sa base.
- La complexité du kidnapping ne saurait être abordée uniquement à partir des paramètres internes. Ainsi il faudrait explorer des pistes liées à la criminalite transnationale.
Accéder à la version anglaise du bulletin : Kidnapping: April 2021 bulletin (#4)
Série de reportages nationale et internationale et conférence autour de la question
France.TV
Conférence scientifique : « L’insécurité en Haïti et ses corollaires », 29 mai 2021.
Série de reportages radiodiffusés
[1] Notons que ce chiffre peut être revu à la hausse dans le rapport annuel, au cas où les mécanismes institués dans le processus apporteraient des informations additionnelles.
[2] A titre d’exemples : Monsieur Jean-Baptiste Condestin a été enlevé le 5 mars 2021, alors qu’il apportait la rançon exigée pour la libération de son père, enlevé le 28 février 2021 à sa pompe à essence à Mariani. Une autre rançon a été versée pour sa libération.
Monsieur Kénol Félix, propriétaire de l’entreprise funéraire Sainte-Rose de Lima, a été kidnappé dans la matinée du 19 mars 2021 à la rue Saint-Honoré, près de l’entreprise. Les kidnappeurs ont enlevé la personne chargée de porter la rançon et gardé Monsieur Felix jusqu’au 2 avril suivant, libéré contre une autre rançon.
Revenant des funérailles, une dame et son mari ont été enlevés à Mariani (entrée sud de Port-au-Prince). Les kidnappeurs l’ont à maintes fois violée sous le regard impuissant du mari. Après le versement, on l’a relâchée afin d’apporter une autre rançon pour obtenir la libération du mari. Ce dernier a été exécuté sous le regard de la dame qui apportait la rançon.
[3] Vers les années 1995 et 1996, l’argent de la drogue, de la corruption et d’autres traffics criminels commençait à influencer le pouvoir public. Ce processus a accouché une 47ème législature (élections 2000…), comptant de nombreux dealers de drogue, et l’administration publique a été largement contrôlée par cet argent (blanchiment…).
[4] Arrêté le 22 juillet 2019 aux Cayes, Département du Sud, Arnel Joseph a comparu respectivement le 25 janvier 2021 devant le juge d’instruction Ykenson Edumé. Il ne fait aucun doute que des informations sensibles ont été partagées.