Affrontements entre gangs : conséquences humanitaires

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I. Tableaux récapitulatifs

Déplacés de la zone métropolitaine10 000
Besoin d’assistance humanitaire à Martissant et au Bas de Delmas60 000
Familles d’accueil (Port-au-Prince et villes de province)5 100
Centre sportif de Carrefour1 500
Sourds-muets à l’école municipale de Pétion-Ville500
Tableau 1 : Chiffres sur les déplacés
1Exposition à la Covid-197Nourriture insuffisante
2Non protection de l’intimité8Manque de sécurité
3Risque de viols9Besoin d’appui psychosocial
4Manque de matériels hygiéniques10Besoin d’espaces récréatifs
5Besoin de nourriture pour enfants11Besoin de recapitalisation
6Manque de lits (40% dorment à même le sol)
Tableau 2 : Problèmes au Centre de carrefour

Sources : Cardh/ autorités locales/Nations Unies

II. En guise d’introduction

  1. Les dernières hostilités des gangs de Ti Bwa de Grand Ravin et de Village-de-Dieu déclenchées expressément le 1er juin à Martissant et de celles de Bas Delmas et de Cité Soleil se poursuivent et ont eu des conséquences énormes à la fois sur les droits humains et au plan humanitaire.  La police est impuissante et devient leur cible : au moins cinq (5) policiers tués, dont trois (3) calcinés, plusieurs autres blessés, deux disparus[1], six (6) commissariats et postes de polices pris en otage, leurs armes et matériels emportés .
  2. C’est la « consécration du règne de la criminalité généralisée [2]». En plus des violations de droits humains (1), souvent mises en lumière, particulièrement les décès, il conviendra de se focaliser sur les conséquences humanitaires(2), car les déplacés vivent dans des conditions inhumaines et doivent faire l’objet d’une attention particulière. En outre, ceux qui sont encore sous la domination des gangs doivent aussi être considérés.

III. Droits humains : décès

  1. Du 1er au 6 juin, plus d’une vingtaine de personnes ont été victimes des affrontements à Martissant, dont certaines jetées à la mer : environ 7 décès sur la route principale, près de l’église Sainte-Bernadette ; 12  à Martissant 2A (zone littorale) ; plusieurs autres décès, dont certains, par absence de soins ( Médecins sans Frontières à Martissant 25 au cœur des affrontements) de Martissant 1 à 23, en passant par le pont de la Ravine Breyard[3]. A Cité Soleil et ses environs, au moins une trentaine de personnes ont perdu la vie. Provisoirement, au moins une soixantaine de décès dans la zone métropolitaine au cours des derniers affrontements[4].  Au-delà de ce constat alarmant, quelle en est la situation humanitaire ?

IV. Conséquences et besoins humanitaires

  1. Du 1er au 15 juin, les affrontements dans la zone métropolitaine ont provoqué environ 10 000 déplacés[5].  Près de 2 000 de Martissant, dont environ 1 500 au centre sportif de Carrefour (507 garçons, 582 filles, 426 mineurs, 50 nourissons)[6].
  2. En outre, des centaines de déplacés de Chancerelles, de la station des Gonaïves et du camp des sourds-muets de l’ancienne piste de l’aviation civile (Delmas 2), pourchassés par des bandits[7], se sont réfugiés à la cité militaire. Cinq-cents (500) sourds-muets viennent d’être relocalisés par le Bureau du secrétaire d’État à l’intégration des personnes handicapées à l’école municipale de Pétion-Ville ( Delmas 103).
  3. Selon les Nations Unies (UNICEF), 5 100 personnes (dont 2 095 femmes et 2 199 enfants) auraient trouvé refuge dans des familles d’accueil dans différentes zones à Port-au-Prince et dans d’autres villes de province. Dans leur famille d’accueil, des femmes et filles sont déjà l’objet d’abus[8] sexuels et d’autres formes d’esclavage moderne. Seulement à Martissant et au bas de Delmas, 60 000 personnes ont besion d’assistance humanitaire[9].
  4. Le besoin fondamental des déplacés est de rentrer chez eux. De concert avec les autorités locales et le système humanitaire, l’État doit travailler sur un plan à moyen pour y parvenir.
  5. Cependant, il y a des besoins urgents, encore que l’appui de la société civile locale et de certaines institutions nationales et internationales humanitaires ait été important. Ainsi, des agents du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) se sont rendus au centre de Carrefour pour constater l’état des déplacés et discuter avec les autorités locales, afin d’en alerter l’opinion nationale et internationale.
  6. Exposition au Covid-19. Entassés comme des sardines et vivant dans la promiscuité, les déplacés sont exposés à la Covid-19, dont les variants brésilien et anglais sont en pleine extension en Haïti ( 361 décès à aujourd’hui). Ils ont besoin d’une campagne de sensibilisation autour de la Covid-19 et des matériels de protection (cache-nez, hand sanitizer, eau, savon…).
  7. Protection de l’intimité. Le centre n’est pas fait pour accueillir ces dizaines de milliers de déplacés, les femmes n’ont pas d’endroits pour se baigner, se changer de vêtements…Un réaménagement est donc nécessaire.
  8. Risque de viols. Tout en reconnaissant une bonne gestion du centre par les autorités locales (Mairie de Carrefour), les risques de viols sont évidents, surtout concernant les adolescentes et jeunes filles, vivant dans l’intimité, leurs moyens étant limités.
  9. Matériels hygiéniques. Les déplacés ont besoin de matériels hygiéniques pour prévenir les infections et l’apparition de maladies infectieuses ( nettoyage et détersion ; désinfection ; conservation).
  10. Nourriture pour enfants. Le centre compte 50 nourrissons. Les nourritures disponibles ne sont pas adaptées à leurs besoins. Étant plus vulnérables que les autres, ils doivent spécialement être pris en charge.
  11. Lits.  Plus de 40% des déplacés dorment à même le sol, les femmes enceintes, les enfants (surtout ceux en bas âge) et les personnes âgées étant priorisés.  Ils ressentent des douleurs, certains font face à des problèmes de coagulation. Il y a donc lieu de résoudre ce problème.
  12. Nourriture. Environ 3 000 plats sont distribués, soit deux repas par jour pour aider les déplacés à survivre.  Ne répondant pas à la qualité requise, après un mois il faudra penser à une nourriture plus appropriée (qualité).
  13. Sécurité. Il y a aussi un besoin de sécurité, surtout dans le contexte actuel. Tout en reconnaissant les difficultés auxquelles la police est confrontée, elle doit accompagner les autorités locales pour sécuriser les déplacés pouvant à tout moment être doublement victimes.
  14. Appui psychosocial. Traumatisés par ces extrêmes violences affectant leur corps et leur âme, les déplacés ont besoin d’un appui psychosocial en vue d’un rétablissement progressif
  15. Espaces récréatifs.  En plus de l’appui psychosocial, les déplacés ont aussi besoin de loisirs en vue de leur épanouissement.
  16. Recapitalisation. Vivant déjà dans l’extrême pauvreté, ces personnes ont perdu tout ce qu’elles avaient. Il leur faut un accompagnement économique.


[1] Dans la soirée du 5 juin, les bandits ont pris d’assaut : les postes de police de Drouillard (gang de Boston dirigé par Matias) et de Duvivier (Ti Whatson installé par Andris Iscar, chef gang de Bellecourt), tuant l’inspecteur divisionnaire, Adolphe Miradel responsable ; puis le commissariat de Cité Soleil (Andris Iscar). Le lendemain, le sous-commissariat de Portail Saint-Joseph (gang krache dife) a été pris d’assaut.  Trois policiers ont été tués : Dévil Peterson ( Ex Politour/ 22ème promotion) ; Jean Pierre Sylvert ( Ex Politour/ 25ème promotion) ;  Gay Jean Frantz (17ème promotion).
Le 17 juin, Limage Gasley, agent 1 du Corps intervention et de maintien de l’ordre (CIMO) a été atteint de plusieurs balles des hommes de Barbecue et est décédé dans la soirée à l’Hôpital Bernard Mews. Le 18 juin suivant, l’inspecteur de police Emmanuel Silencieux Jeanty a été tué par balles sur la route de Frère, Commune de Pétion-Ville.  Un autre policier a été assassiné à Portail Léogane. Mise à jour le 22 juin.
Du 1er janvier au 21 juin 2021, 29 policiers ont été assassinés – certains mutilés puis brulés – deux (2) disparus, quatre (4) kidnappés, torturés et libérés contre rançon, contre 26 pour l’année 2020.

[2] Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) : « Haïti : Hégémonie de la criminalité et responsabilité de protéger », 16 juin 2021.

[3] Plus de détails seront publiés sur ces tueries.

[4] Mise à jour le 22 juin.

[5] Bureau de la coordination des affaires humanitaires « Haïti : Déplacements causés par la violence des gangs à Port-au-Prince, rapport de situation n°2 », 14 juin 2021.

[6] Comité communal de protection de Carrefour.

[7] Le 17 juin, des bandits ont mis le feu dans le camps.

[8]  « Fuyant les gangs, des milliers d’Haïtiens incertains quant à leur avenir. Des personnes déplacées sont victimes d’abus sexuels, y compris des viols dans les familles d’accueil, certaines se voyant imposer une « offre de « sexe contre abri » Tweet de Amelie Baron, journaliste de RFI à Port-au-Prince, de l’article de TV5 Monde « Fuyant les gangs, des milliers d’Haïtiens incertains quant à leur avenir »

[9] Bureau de la coordination des affaires humanitaires « Haïti : Déplacements causés par la violence des gangs à Port-au-Prince Rapport de situation n°2 », 14 juin 2021


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