En octobre 2019, le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) a réalisé une étude sur le mandat des deux-tiers du Sénat issus des élections de 2015 et de 2016 et entrés en fonction en janvier 2016 et en janvier 2017.
L’étude a conclu que le mandat du 3ème tiers était arrivé à terme le 8 janvier 2018 et celui du 2ème tiers le 13 janvier 2020. Ils ont été élus pour combler deux vacances.
Le Sénat avait conclu un accord politique avec le président Jovenel Moïse pour garder le 3ème tiers jusqu’au janvier 2020, ce qui signifie qu’ils avaient reconnu le terme du mandat dudit tiers en janvier 2018. Par conséquent, celui du 2ème tiers prendrait fin le 13 janvier 2020. Cependant, si l’on considère les échéances constitutionnelles, leur mandat devait arriver à échéance en 2017 et en 2019.
Le président Jovenel Moïse avait utilisé la force pour empêcher les sénateurs du 2ème tiers de pénétrer dans l’enceinte du Parlement le 13 janvier 2020. Certains avaient cru que leur mandant prendrait fin en janvier 2022 et voulaient continuer à y siéger.
Le 16 janvier 2020, les sénateurs « empêchés » ou anciens sénateurs Jean Renel Sénatus, Jean Marie Junior Salomon, Dieupy Chérubin, Ronald Larèche, Youri Latortue, Nenel Cassy, Onondieu Louis, Willot Joseph et Dieudonne Luma Etienne ont déposé une requête auprès du Conseil électoral provisoire (CEP) lui demandant « (…) de reconnaître que le président de la République a enfreint le décret électoral en violant les articles 50.3,50.7,45.2, et 239 ; de dire que les requérants sont des sénateurs en fonction jusqu’au deuxième lundi de la sixième année de leur mandat, soit le 10 janvier 2022 ; de reconnaître le droit des requérants à intenter toute action au civil en réparation des préjudices subis en temps et au moment opportun. »
Le 30 janvier, le Conseil électoral a statué sur la demande et a déclaré « (…) qu’il ne dispose, dans ce cas d’espèces, d’aucune référence légale pour saisir les organes du contentieux électoral. »
Une nouvelle action en référé a été intentée par les contestataires mais n’a pas abouti. Le tribunal siégeant le 3 février a déclaré « (…) qu’en vertu des articles 185 et 186 de la Constitution amendée et attendu que le Président de la République n’est justiciable que par devant la Haute Cour de justice pour tout crime ou délit qu’il aurait commis dans l’exercice de sa fonction, dans pareil cas, le Tribunal doit se déclarer incompétent ratione personae ». Les contestataires ont finalement accepté qu’ils n’étaient plus sénateurs.
Cette situation a déclenché un débat houleux sur le mandat du président, ouvrant une « boîte de Pandore » ! Il s’agissait de savoir si son mandat arriverait à terme le 7 février 2021 ou le 7 février 2022.
Une deuxième étude juridique réalisée par le CARDH et publiée le 25 mai 2020 a conclu que selon l’esprit et la lettre de l’article 134-2 de la Constitution renforcés par l’article 239 du décret électoral du 2 mars 2015, le mandat présidentiel prendrait fin le 7 février 2021. D’autres juristes, dont Mirlande Hyppolite Manigat, professeure de droit constitutionnel, ont par la suite corroboré la thèse.
Après l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, le pays a connu une situation inédite, les trois pouvoirs de l’Etat étant dysfonctionnels : i) le Parlement compte seulement dix sénateurs sur 30 (pas de députés) ; ii) la Cour de cassation six juges sur 12 dont le mandat de trois d’entre eux prendra fin le 17 février prochain (Franzi Philémon ; Kesner Michel Thermési ; Louis Pressoir Jean-Pierre) ; iii) l’Exécutif dirigé par un Premier ministre intérimaire.
En outre, en prélude au 2ème lundi de janvier 2022, le mandat du tiers restant du Sénat soulève déjà des controverses. Les sénateurs Pierre-Paul Patrice Dumont et Joseph Lambert ont lancé une mise en garde, affirmant que leur mandat arrivera à terme le 2ème lundi de janvier 2023.
Cela justifierait l’idée que le Premier ministre Ariel Henry pourrait manu militari empêcher les sénateurs d’investir l’espace le 10 janvier 2022, le président Moïse l’avait déjà fait le 13 janvier 2020. Il y a donc un besoin d’éclairage juridique en dehors des approches politiques, revanchardes et autres.
S’inscrivant dans la série de rapports thématiques sur le mandat des élus initiés en octobre 2019, cette étude veut apporter cet éclairage juridique sur le mandat des dix sénateurs restants.
Ce travail est divisé en six parties : i) les échéances électorales présidentielles et sénatoriales de 1991 à date ; ii) la question d’harmonisation des mandats afin de comprendre l’esprit de l’article 134-2 ; iii) une synthèse du rapport sur le terme du mandat constitutionnel présidentiel le 7 février 2021 ; iv) un résumé de celui soulignant que les élections de 2016 poursuivaient celles de 2015 ; v) la méthode pour aborder le mandat des sénateurs ; vi) la situation juridique du tiers restant du Sénat.