Haïti est au bord du précipice. Cette réalité criante appelle : i) le gouvernement actuel, agissant pour l’État, à assumer ses obligations de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits humains ; ii) la coopération internationale à intervenir au nom du principe de la responsabilité de protéger ; iii) la société civile haïtienne à jouer son rôle d’élite.
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I. Droit à la vie, à la sécurité et à la protection de l’intégrité physique de la personne
1. Homicide. De janvier à novembre 2022, au moins 1192 décès dus à l’insécurité ont déjà été comptabilisés. Environ 70% concernent la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Depuis novembre 2018, une série de tueries s’est produite dans les zones défavorisées : La Saline, Cité Soleil, Martissant, Bel-Air, Source-Matelas…
2. Kidnappings. La Cellule d’observation de la criminalité (COC) du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) a recensé 755 enlèvements de janvier à septembre 2022 dont 57 étrangers. La plupart des victimes sont torturées. Des femmes font l’objet de viols collectifs et d’autres traitements inhumains et dégradants.
3. Gangs. 60% du territoire haïtien est sous l’emprise des gangs qui s’organisent officiellement en deux grandes fédérations : G9 an fanmi e alye (G9 en famille et alliés) et G-PEP. Il y a environ 200 groupes armées qui opèrent sur le territoire dont la majorité sont dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. On pourrait se demander si l’on ne se dirige pas vers un proto-État, comme Daech ou l’État islamique (EI) en Syrie. La prise en otage du terminal pétrolier de Varreux par le groupe G9 pendant près de deux mois provoquant une crise humanitaire et le dysfonctionnement quasi total du pays l‘illustre clairement.
II. Droits sociaux et économiques
4. Droit à l’alimentation. Dans un contexte où plus de 60% de la population vivent dans la pauvreté abjecte, les prix des produits de consommation ont doublé en un an. Cet indicateur, parmi d’autres bien sûr, permet de comprendre la réalité de la moitié de la population qui est dans l’insécurité alimentaire chronique. Ajouté à cela, l’inflation a explosé à 38,7% en septembre 2022 soit une variation mensuelle de +8.2% (sur 2 mois).
5.Droit à l’éducation. 47% des écoles sont toujours fermées malgré le déblocage de Varreux. Cette situation concerne globalement les zones défavorisées dominées par les gangs : Cité Soleil, Martissant, Croix-des-Bouquets, Centre-Ville, Bas de Delmas…
6. Droit à la santé. La résurgence de l’épidémie de choléra complique davantage le droit à la santé. Au 5 décembre 2022, 182 décès institutionnels ont été recensés et 99 décès communautaires. 1177 cas ont été confirmés sur 13454 cas suspects.
III. État de droit
7.Gouvernance. Haïti est sortie du processus démocratique et de l’État de droit. Depuis le 13 janvier 2020, le Parlement est dysfonctionnel. Suite à l’assassinat du président haïtien le 7 juillet, le pays est dirigé par le premier ministre Ariel Henry, assumant le double rôle de l’Exécutif : Président et premier Ministre.
8.Justice. Depuis 2018, la justice haïtienne, rongée par la corruption et vassalisée par des autorités exécutives, était dysfonctionnelle de fait, avec : les grèves en cascades des juges, des greffiers, des huissiers; l’insécurité quasi généraliséeamenant à l’abandon des bâtiments logeant les entités judicaires : Le palais de justice de Port-au-Prince abandonné, puis pris par les gangs 5 secondes est symptomatique de cette criante réalité.
Aujourd’hui, la justice est dysfonctionnelle de droit, car la Cour de cassation, la plus haute instance, est dysfonctionnelle, comptant trois juges sur 12.
Le taux de détention préventive prolongée en Haïti est autour de 85%. De janvier 2022 à date, plus de 100 personnes sont mortes dans les centres carcéraux en raison de l’absence de soins de santé, de manque de nourritures et d’autres traitements dégradants… La plupart des centres carcéraux, dont le pénitencier national, la prison de Jacmel, le centre carcéral de Miragoâne, s’apparentent aux chambres de concentration des Nazis et d’autres régimes similaires.
9. Police. Quoique ses efforts soient visibles et quantifiables, la police nationale n’arrive pas à contenir les gangs, disposant d’armes sophistiquées, de munitions en quantité, d’argent, de moyens de renseignements et soutenus par des politiques, des personnalités du secteur privé et autres. La police nationale ne possède pas les moyens matériels et technologiques, les ressources financières et l’entrainement nécessaires.
IV. Conclusion
La coopération avec Haïti a besoin d’un changement de paradigme pour parvenir à des résultats concrets et durables capables d’aider réellement à la construction de la démocratie et de l’État de droit et de répondre à la crise humanitaire multidimensionnelle.
De manière urgente, il faut une force extérieure d’accompagnement à la police nationale pour mater les gangs qui massacrent et kidnappent la population et qui violent au grand jour les femmes et les filles. C’est la priorité de la population.
La police a besoin de se renforcer concrètement pour qu’elle devienne la véritable force disposant de moyens matériels, technologiques et humains capable de remplir réellement sa mission : protéger et servir.
Il faut aider à restaurer la justice haïtienne. La coopération bilatérale ou multilatérale ne peut pas la remplacer. Il faut recourir à la coopération judiciaire pour certains dossiers emblématiques liés à la corruption, au blanchiment, au financement des gangs et aux violations graves de droits humains. Les régimes de sanctions appliqués par le Canada et les Etats-Unis, bientôt par le Conseil de sécurité des Nations Unies, doivent s’inscrire dans cette dynamique.
Il faut créer rapidement les conditions pour que la population, le souverain, puisse choisir librement ses représentants à travers des élections démocratiques conformément à la Constitution et aux principes de l’État de droit. Il faut absolument un retour à la normalité constitutionnelle et institutionnelle.
Jean Gédéon, Directeur exécutif