À propos de l’« État des droits humains »
L’ « État des droits humains » est le rapport annuel du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) qui présente la situation globale des droits humains en Haïti. Son objectif est de présenter des indicateurs clefs pour comprendre l’orientation de la gouvernance publique dans la dynamique démocratique initiée après le départ des Duvalier le 7 février 1986 (près de trente ans de dictature). L’« État des droits humains » permet de mesurer les efforts des gouvernants par rapport aux obligations de l’État en cette matière : respecter, protéger et mettre en œuvre.
En terme de méthodologie, l’«État des droits humains » est basé les travaux entrepris par le CARDH tout au long de l’année, complétés par des enquêtes de terrain pour approfondir certaines informations, des rencontres avec les autorités… Des rapports d’organisations locales et internationales ayant une autorité dans des domaines spécifiques sont aussi pris en considération. Des théories et principes qui sous-tendent les droits humains sont aussi utilisés. L’expertise des personnalités du monde académique et professionnel est également utilisée pour la préparation du rapport.
Rapport de 2021
Publié sous le titre : « État des droits humains en 2021 : Hégémonie des gangs et hausse de la criminalité », l’ « État des droits humains » en 2021 repose sur sept axes : i) le dysfonctionnement de l’État ; ii) la transition dans la longue transition post 86 ; iii) la police ; iv) la corruption ; v) le bilan annuel du kidnapping ; vi) les droits socio-économiques ; vii) les droits civils et politiques.
Dysfonctionnement de l’État. Le Parlement est dysfonctionnel depuis le 13 janvier 2020 ( Terme de la 50ème législature et de deux-tiers su Sénat). La Cour de cassation compte six juges sur 12 et le mandat de trois d’entre eux arrivera à terme le 17 février prochain. 70% des mandats des juges d’instruction ne sont pas renouvelés. La Justice est en « mode » grève (greffiers, huissiers, juges, commissaires du gouvernement…) depuis des années, renforcée par les violentes manifestations des 6,7 et 8 juillet 2018 et le fameux mouvement pays lock en 2019.
Une transition dans la transition. L’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021 a occasionné un dysfonctionnement de l’Exécutif et une transition dans la longue transition post 86.
La police. Comptant environ quatorze mille membres, mal logés, mal payés, moralement faibles et non équipés (même pas un hélico !) pour près de 11 millions d’habitants, la police est en proie à l’extension et à l’hégémonie des gangs (plus de 200 sur le territoire). Le Plan opérationnel 2017-2021 prévoyait une police « de standard international »avec un budget prévisionnel de 1.215.228.341 milliards de dollars américains : 508.203.678.88 millions pour le fonctionnement ; 707.024.662.76 millions pour les investissements. Pour la première année les bailleurs de fonds y ont contribué à 14.92% ; pour la deuxième année, 4.24% ; pour la troisième année, 6,42% ; pour la quatrième année 9,45 %. Dix policiers ont été assassinés en 2018 ; 37 en 2019 ; 26 en 2020 ; 31 en 2021.
Corruption. Quatre indicateurs sont considérés : i) les indices de corruption de Transparence international (en 2020, Haïti était 170ème sur 180 pays avec un score de 18 points sur 100) ; ii) le fonctionnement du secteur pétrolier ; iii) des arrêts de débets de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) dont ceux du 29 juillet condamnant madame Magalie Habitant et consorts à « restituer au Trésor public et au SMCRS 38,879,776.71 gourdes » et madame Marjorie Alexandre Brunche à « restituer 15.940.00 dollars américains au Trésor public » et ordonnant le maintien de l’hypothèque légale de leurs biens meubles et immeubles.
Bilan du kidnapping. Du 1er janvier au 15 décembre, 949 rapts ont été recensés (dont 55 ressortissants étrangers de cinq pays) contre 796 en 2020. Haïti est devenu le pays ayant le taux le plus élevé de kidnapping par habitant. Ces chiffres sont des indicateurs et les rapts collectifs sont comptabilisés à moins de 10%.
Droits socio-économiques. Haïti est en proie à une constante crise socio-économique et institutionnelle nourrie par l’instabilité politique et des catastrophes naturelles mal gérées. Les affrontements dans la zone métropolitaine en juin 2021 ont provoqué environ 10.000 déplacés,dont 2.000 de Martissant (1.500 installés au centre sportif de Carrefour), et un besoin humanitaire pour 60.000 sinistrés. De mai à septembre, 170. 936 Haïtiens ont été rapatriés de la République dominicaine, 10.831 du 19 septembre au 19 octobre, dont 7.915 des États-Unis d’Amérique (73%).
Haïti est le pays le plus pauvre de la région et parmi ceux des plus pauvres au Monde. Cette réalité est aggravée par le kidnapping dont la rançon exigée va jusqu’à un million de dollars américains. Le taux d’inflation en glissement annuel a atteint 19.7 % en octobre 2021 contre 13.1 % en septembre 2020. Le tremblement de terre ayant frappé les départements du Sud, de la Grand ’Anse et des Nippes le 14 novembre 2021 a fait 1.419 décès, plus de 6. 900 blessés et 37. 312 maisons détruites et 46. 913 d’autres endommagées. Plus de 700. 000 victimes sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Les écoles de Martissant, de Gran Ravin, de Fontamara, de bas de Delmas, de Cité Soleil, de La Saline et du Centre-Ville sont fermées. D’autres écoles sont transformées en bases de gangs : école nationale Emérante Papailler à Martissant 23 ( Gran Ravin), école nationale Tertullien Guilbaud, au Centre-ville (de krache dife)…
En 2019, 3.7 millions de personnes étaient en insécurité alimentaire, contre 4,1 millions en 2020, et 4.4 millions au début de 2021. Le tremblement de terre du 14 août a basculé près d’un million de sinistrés dans l’insécurité alimentaire. La crise du carburant a causé en octobre une augmentation en moyenne de 25 % des prix des produits de consommation et autres. Ils vont encore augmenter avec l’ajustement du coût des produits pétroliers le 10 décembre : la gazoline est passée de 201 gourdes à 250 gourdes, le diesel de 169 gourdes à 353 gourdes et le kérosène de 163 gourdes à 352 gourdes.
Droit civils et politiques. Au moins 467 décès ont été recensés pour l’année 2021 contre 297 en 2020, dont 256 par balles. Depuis 2017, le droit de vote, de se porter candidat et de participer aux affaires publiques est suspendu. Le citoyen n’exerce plus la souveraineté, un accroc aux principes démocratiques, de l’État de droit et de la gouvernance démocratique ( voir l’article 58 et suivants de la Constitution).
Les conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles la population carcérale vit sont « chantées » chaque année par les organisations de droits humains : nourriture non vitaminée parfois avec des produits avariés ; personnes âgées maigres, sous-alimentées et allongées à même le sol ; femmes quasiment nues à la prison de Miragôane ( chaleur, manque de vêtements et de matériels sanitaires…) ; tortures physiques (coups de bâton PR 24, de bois 2/4, de fils électriques, détenus mis au cachot… ) ; enfants en détention prolongée entassés dans des cellules sans conditions de réinsertion…
Au 29 septembre 2021, la population carcérale est estimée à 11.250 détenus dont 9.236 en attente de jugement (82 %) et 2.014 condamnés (18 %). Pour l’année judiciaire 2020-2021, 226 personnes ont été jugées en audiences criminelles contre 643 pour celle de 2018-2019.
Les droits humains se dégradent constamment et considérablement en Haïti. La démocratie et l’Etat de droit apparents sont à nus. Le droit à la sécurité et au respect de l’intégrité physique deviendrait une chimère dans ce contexte où les gangs opèrent et kidnappent sur quasiment tout le territoire, torturent et violent atrocement les filles.
Rapport accessible sur demande